… À suivre
5 Novembre 2002 : Style de vie
2002
Neurone 1 : J'veux du cuir · Neurone 2 : Femmes, je vous aime
Paris a certes le monopole de la culture pour la culture, Mitterand avait peut-être le monopole du coeur, mais pour la mode...
Pour la mode, on citera Paris (tsss...), Milan (allons!) ou Londres (on avait dit "sérieux"!), mais ce serait reduire la mode a quelques ateliers, leurs vitrines exorbitantes et leurs défilés friqués. Je propose pour changer un concurrent de taille : Tokyo.
A Tokyo la mode ne se fait pas dans le confort longuet des ateliers des grands couturiers, mais dans la rue. La mode n'y est pas tant le fatras des collections européennes qu'un ensemble joyeux de tendances. Certes, on peut découvrir la mode dans les magasines tendance, mais les véritables pionniers du chiffon sont sur le terrain : les trottoirs de Shibuya, d'Harajuku, de Daikanyama...
Une des particularités frappantes, presque choquante, du Japon est que ce pays est, de facto, un des derniers pays profondément mysogines : ici, pas de religion, pas de fanatisme à l'origine du machisme, juste des pratiques bien enracinées dans la culture nipponne, et, tous les bonsai vous le diront, au Japon, ce qui est bien enraciné ne s'arrache pas a la va-vite.
Je reviendrai sans doute un jour ou l'autre sur la mysoginie ambiante au Japon, mais d'ici là concentrons-nous sur une des conséquences de cet état de fait: une société mysogine, qui ne laisse que peu de place a la femme dans le monde du travail (ou, au mieux, la portion congrue), une société (fait rare) ou la mysoginie n'est pas attachée a des interdits religieux est une société ou les portes du gynécée sont ouvertes à la rue alors que l'homme s'enferme dans les bureaux. C'est la société des femmes.
Voilà, soit dit en passant, le secret (mais que cela ne sorte pas d'Internet!) des charmes du Japon, et de Tokyo en particulier : les femmes se sont appropriées la rue, et de fort charmante manière.
J'ai toujours supposé que ceci était lié d'une manière ou d'une autre au souci particulier (très présent dans la culture nippone) du détail, et de l'emballage : les japonaises savent, mieux que quiconque, se mettre en valeur, et la plus sage des tenues laissera invariablement derrière elle, sinon un parfum, au moins une subtile essence de soufre et de sexe. Pas d'interdit relatif au sexe, ici, tout au plus une grande timidité : on ne dévoile pas, on suggère. Chacune des mes promenades dans la capitale, ou encore les longs trajets en train, sont pour l'éhonté sensualiste que je suis un réel patchwork de petites jouissances, tant chaque centimètre carré de tissus (ça bouffe, ça frotte, ça froufroutte, ça dentelle, ça flashe, ça ondule, ça pointe, ça chatoye, ça pendouille, ça rayure, ça troue, ça cache, ça montre, ça soupconne, ça croise, ça couvre, ça dévoile; ca arrondit les angles...) ou de peau a quelque chose de... troublant.
Nous avons donc l'ingredient principal de notre recette, le parfum de femme, il ne manque que le liant... De peur d'être mal lu (encore faudrait-il être lu), je n'ose sortir les gros mots, parler de Japon corporatiste, sectaire, refusant la notion d'individu, non parce que c'est faux mais parce que c'est, intrinsèquement, incomplet. L'importance du groupe au Japon est cependant, indéniablement, ledit liant : l'appartenance au groupe se prouve autant par un mimétisme comportemental que vestimentaire, et nous voilà avec autant de mode qu'il y a de groupes de femmes : la lyceenne, classique ou version sous acide a Shibuya, sous tranxen a Harajuku, la jeune femme chic d'Omotesando, branchouille de Daikanyama, friquée a Ginza, la femme active a Marunouchi ou Kamiyacho... Autant de clans qu'il y a de fiefs.
Et la mode, dans tout cela? Elle se fait dans la rue, vous dis-je, et c'est dans la rue que les yeux de la mode nippone (qui, ailleurs, en europe, se targueraient d'etre créateurs), observent, concluent, et font fabriquer a la vitesse grand V la mode (non pas de demain, mais) de dans un mois. Rapide, efficace, sans bavure, la mode qui bourgeonnait, quelques semaines auparavant, dans un coin de Shibuya, se retrouve sur tous les étalages, dans toutes les vitrines, et devient, de jure, la Mode.
Quant aux créateurs d'europe, ils auront beau copier au plus vite la mode de Tokyo, leurs chiffons ne seront pas en vente avant une ou deux saisons... Ce qui n'empechera pas la tokyoite, fervente et aveugle, d'acheter à grands "oh" et "ah", la "mode de Paris".
Quant à moi, j'ai très envie d'une veste de cuir. Et d'une echarpe en cachemire. Rouge.
Avant/Après
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